J’en suis venue à croire de plus en plus que ce qui est le plus important pour moi doit être dit, verbalisé et partagé, même au risque d’être déformé ou mal compris. ―        Audre Lorde
Jacob, sé sa ou ka fè nou alow ?

Jacob, sé sa ou ka fè nou alow ?

C'est ce que j'ai pensé immédiatement mais je suis restée coîte, bwabwa, 'stébékwé, sidérée de longues heures durant qui sont devenues des jours. Au delà de la tristesse s'est installé un grand vide. Une partie de moi s'est éteinte, quand j'ai réalisé ici et maintenant que c'est le jour un d'un monde sans le Kassav que j'ai toujours connu.

Alors comme tout le monde, j'ai tenté de combler ce vide avec ta musique. Avec votre musique. Avec notre musique. Et puis très vite, comme à chaque fois, en écoutant ta voix, tes riffs qui me chouboulent et activent une pulsation dans mon plexus, je me suis viscéralement (re) connectée à qui je suis dans le fond (du didan de moi-même).

KASSAV' que tu as co-fondé, je l'ai compris comme ça, c'est ce rappel. Cet appel. C'est cette envie, ce besoin de dire NOU LA. Vous ne nous voyez pas, refusez de nous voir mais le petit point sur la carte au milieu de l'eau c'est nous. NOU LA. La "petite tâche" de l'Histoire aussi c'est nous. Entre turpitudes et chawa-yaj, résilience et doubout pitjan. Entre acculturation et assimilation. NOU TOUJOU LA.

Kassav, cette énergie créatrice, force vitale endémique, celle qui te donne le balan pou "ranjé kay la" au propre comme au figuré m'a portée toute ma vie. D'ailleurs, le premier souvenir d'enfance dont je me rappelle est moi, portée dans les bras de mon père en train de danser. Combien sommes-nous à partager ce souvenir, cette première transmission ?

Nous avons failli parfois c'est vrai, mais vous, vous êtes l'exception qui confirme la règle. Les prophètes reconnus dans leur pays et de leur vivant.

Quel privilège, quelle bénédiction nous avons reçu 40 ans durant. Quelle chance d'avoir vécu ces communions quasi-mystiques, cathartiques. Ces concerts gigantesques mémorables d'avoir kriyé, vwoyé monté, d'avoir rimé, d'avoir swé vet, d'avoir créé ce langage qui nous est propre, cette conversation ininterrompue génération après génération. Quelle fierté de partager votre rayonnement. Quelle émotion de voir soulever la liesse populaire aux quatre coins du monde. Quel impact de vous voir ouvrir cette porte du retour vers la Terre-Mère. De rappeler que nous sommes aussi fils et filles d’Afrique en exil.

J'ai toujours trouvé ironiquement juste ton accent parisien, pour un Monsieur tellement ancré dans son identité. Un Monsieur qui a mis tout ce qu'il était de son « nanm kann », tout ce qu'il aimait du rock, du blues et de sa créolité dans une espèce de bébélé fecond. Un chaos de sonorités, de sangs mêlés et de terres rapportées qui a propulsé des étoiles au firmament avan yo filé. Merci Jacob.

Merci d'avoir été flamboyant ici et baobab là-bas.

Merci d'avoir été trait d'union, passerelle et témoin.

Merci de ne pas avoir attendu pour transmettre.

Merci d'avoir "joué" collectif. Je n'ose imaginer quel amour des siens, quel amour de son art, quelle humilité et quels sacrifices de vie il faut faire encore et encore pour maintenir cette communauté de vie 42 ans durant. Ayen pa mol !

Merci d'avoir créé, et fait perduré cet élan créatif, cette cassave que nous continuerons de consommer. Comme j'ai dansé avec mon père, je danserai avec mon fils dans ma cuisine. Si je n'ai pas failli, un jour lui aussi comprendra que son hérédité porte un héritage culturel riche.

Si on n’a pas collectivement failli, à Bouaké, à Ndioum on continuera de dire que « kay manman la chaussure est gâtée ». À Maroua que le « zouk c'est le même prix qu'un sac de riz ».

Ton zouk là c'est un médicament, un héritage, une affirmation, une déclaration d'amour à ce que nous sommes quand nous étions destinés à nous détester. La prophétie et la promesse d’amour au futur.

Jacob Sé sa ou fè nou. Jacob Sé sa ou fè ban nou.

Mèsi an chay. AN NOU AY.

Baptême ou ké la. Anniversaire, monôme, Lembé, Nostalji, Ladevenn, Ou ké la... Chak lè nou ké pijé la () sé vou ké soti.

#Kiltilapligrankinou #JacobDesvarieux

Vivre à la campagne : 10 réflexions de citadins que je ne supporte plus !

Vivre à la campagne : 10 réflexions de citadins que je ne supporte plus !