J’en suis venue à croire de plus en plus que ce qui est le plus important pour moi doit être dit, verbalisé et partagé, même au risque d’être déformé ou mal compris. ―        Audre Lorde
En #2018, j'ai kiffé

En #2018, j'ai kiffé

2018 c’était : beaucoup de Netflix, aucune expo, peu de concerts et spectacles, pas de théâtre, beaucoup de littérature et moins de dix albums en rotation sur toute l’année. Pour autant mes favoris sont de véritables coup de coeur sur lesquels j’avais envie de m’exprimer plus longuement que d’habitude !

Seven Seconds, The Americans, La Méthode Kominsky - SERIES. La forme de l’eau, Black Panther - CINEMA. Chanson Douce, Noire n’est pas mon métier - LIBRAIRIE. Hive Mind, Usawa - MUSIQUE. Révolte et Tendresse - SPECTACLE.

SEVEN SECONDS - SÉRIE : De l’endroit d’où Brenton Butler, un adolescent de quinze ans est renversé, la Statue de la liberté tourne le dos à la ville de Jersey City comme pour ne pas voir ses minorités ethniques défavorisées et sa misère sociale rampante. J’ai été soufflée par la photographie du show et sa lumière froide d’hiver, glacée, abrupte et contrastée comme cette gigantesque mare de sang au milieu de la neige immaculée. Ici, pas de suspense sur l’identité du coupable de ce thriller psychologique, les enjeux sont ailleurs. L’écriture qualitative et réaliste s’insère dans les déchirures de la société américaine, sans se donner pour mission de les recoudre. Si l’arc narratif des tensions raciales semble manichéen, avec d’un côté une police majoritairement blanche toute puissante et de l’autre une communauté noire et stigmatisée, les personnages par leur densité s’évitent poncifs et caricatures. Je me suis attachée à cette galerie de portraits équilibrant les seconds rôles et les principaux, les hommes et les femmes (rarissime), les justes et les pourris. Isaiah et Latrice Butler (Russell Hornsby / Regina King), parents de la victime sont bouleversants de justesse ordinaire, faillibles mais dignes sans jamais tomber dans le pathos. Mention spéciale au duo K.J Harper (Clare-Home Ashitey), substitut du procureur borderline et Joe "Fish" Rinaldi (Michael Mosley) inspecteur jusqu’au-boutiste, dont l’alchimie et la lucidité irradient au milieu de ce monde clanique et vicié dans lequel tous, sont malgré eux prisonniers. La musique de Michael Kiwanuka (Love & Hate) signe une fin magistrale sur l’ultime symbole du show : une autre statue, celle de la justice les yeux bandés, allégorie de l’impartialité, tournant elle aussi, le dos aux protagonistes.

Saison unique sur Netflix.

THE AMERICANS - SÉRIE : Mon coeur est brisé ! L’une de mes séries préférée s’est arrêtée sans que je comprenne pourquoi elle est aussi peu (re)connue. Elizabeth et Philip Jennings, deux agents d’élite du KGB infiltrés aux USA en pleine guerre froide, mènent des opérations de renseignement, assassinats politiques et infiltrations tout en essayant de faire mener à leurs deux enfants, qui ne savent rien de leurs activités, une vie somme toute normale. Ils manipulent leur entourage grâce à une myriade de personnages kitschs, grimés de fausses moustaches, perruques, brushing meringue, pulls moches et lunettes oversize. Toute l’atmosphère 80s sous l’ère Reagan est savamment retranscrite dans des décors, costumes, une B.O hyper soignée et avec en toile de fond les vrais enjeux géopolitiques de l’époque (terrorisme, apartheid, guerre d’Afghanistan, déclin du communisme et apogée capitaliste…) Le jeu et la complicité de Matthew Rhys & Keri Russel (couple à l’écran comme à la ville) porte un scénario subtil qui a déroulé lentement les mécanismes d’une culture de la peur de chacun des deux blocs autant que les utopies, idéaux, errances et surtout sacrifices de ce couple d’espions soviétiques perdus entre leurs identités multiples et une routine austère hantée par la paranoïa. Six saisons d’une série américaine d’espionnage, crée par un ancien agent de la C.I.A (Joe Weisberg) et dont les (anti) héros sont des anti-américains. Pour ma part jubilatoire !

Saisons 1-5 disponibles sur Netflix.

LA METHODE KOMINSKY - SÉRIE : Après avoir interprété il y a 26 ans Nick Curran, fringant inspecteur du thriller érotique Basic Instinct, Michael Douglas se met dans la peau de Sandy Kominsky, un ancien acteur reconverti en professeur d’art dramatique, en proie à des doutes existentiels autant qu’à des problèmes de prostate défaillante. Son ex-agent et meilleur ami Norman Newlander (Alan Arkin) qui vient de perdre son épouse, oblige Sandy a reconsidérer son rapport désinvolte à sa propre mort et à entamer une forme de bilan. Cette comédie douce-amère n’est pas seulement servie par des punchlines hilarantes, c’est aussi et surtout, poignant. En plus du temps qui passe, j’ai trouvé cette fable sur le deuil d’une justesse incomparable. Je trouve très interessantes les conversations entre les élèves apprentis acteurs et leur professeur qui pour moi est une des subtilité du scénario, une espèce de miroir grossissant des propres défauts de Sandy jadis. L’autodérision du texte demande une bonne tranche de lucidité et au fur et à mesure des évènements, on finit par se questionner aussi sur ce caractère inéluctable de notre humanité. A partir de quand se met-on à y penser ? A partir de quand sait-on que l’on vieillit, ou qu’on a vieilli ? Quand est-ce trop tard ? Nos émotions vieillissent-elles avec nous ? Dans cette industrie hollywoodienne qui prône l’éternelle course au jeunisme, Michael Douglas et Alan Arkin (qui lui vole la vedette), respectivement âgés de 74 et 84 ans brillent par leur charisme, leur télégénie et prouvent qu’un bon acteur servi par un bon texte, reste un bon acteur quelque soit son âge. C’est cynique, authentique, piquant, drôle et extrêmement bien écrit. Vivement la saison 2 et des guests retraités aussi truculents que Danny de Vito en urologue déjanté. C’est avec les vieux potes qu’on fait les meilleures soupes.

Saison 1 sur Netflix

LA FORME DE L’EAU - FILM : Je n’avais rien lu sur le chef-d’œuvre quatre fois oscarisé de Guillermo del Toro et heureusement, sinon mon cynisme m’aurait sans doute éloignée de la naïveté apparente du propos, à savoir, une histoire d’amour entre une femme muette et un monstre amphibien. Apparente naïveté car l’histoire est dense, sombre, et confinée dans ce contexte paranoïaque de la guerre froide. On suffoque, on agonise emmurés dans la solitude et l’austérité du quotidien d’Elisa (Sally Hawkins) jusqu’à ce que la poésie et l’amour magnifient ce tableau visuellement dérangeant et féerique. Sans jamais dire un mot, Sally Hawkins se met à chanter une ode à la tolérance et à la différence. Son corps fluet et enfantin transmet délicatesse puis force et tension psychique avant qu’elle ne devienne sexuelle. Je suis rarement sensible aux univers fantastiques, mais en sortant de La forme de l’eau j’ai commencé à croire aux contes de fées

En DVD et Blu-Ray.

BLACK PANTHER - FILM : Peu importe au final ce que j’ai pensé du film en tant que tel. J’aurais pu me joindre aux dizaines d’articles conscients ou pas, politisés ou pas, élogieux ou caustiques que j’ai lu, mais j’ai préféré rester spectatrice et me concentrer sur les records du box office, le casting (quasi) “all-black” (et nappy) et surtout, sur l’importance d’avoir un super-héros noir, qui plus est africain, qui n’aurait pas eu besoin de l’influence de l’Occident pour se “developper”. L’engouement autour du film prouve à quel point, les diasporas noires, en premier lieu, manquent de représentation : il n y a qu’à voir le nombre de sportifs faisant le salut wakandais ou le nombre de petits garçons déguisés pour Halloween en T’Challa. Les petites filles pour une fois, ne sont pas en reste ! Le film offre des rôles de femmes fortes : reine, chef des armées, scientifique, activiste… qui se battent à côté des hommes. Black Panther n’est pas un simple Marvel, c’est une révolution comme l’était en 1966 la création de ce personnage par Stan Lee (qui nous a quitté cette année), alors que la plupart des éditeurs étaient blancs et bigots. Un blockbuster militant (enfin ça se discute), inclusif et afro-futuriste ? Wakanda Forever !

En DVD et Blu-Ray.

CHANSON DOUCE de Leïla Slimani - LIVRE : “Le bébé est mort.” Comment ne pas être happée par ces quatre mots débutant le livre et le drame qui se joue dans le quotidien de Myriam et Paul ce couple bien sous tous rapports qui embauche une nounou pour s’occuper de leurs enfants ? La nourrice idéale, aimante, prévenante, discrète, disponible, cuisinière hors pair va lentement partager ses névroses en huis clos avec la famille. L’issue est certaine, dramatique, glaçante et l’autrice malmène son lecteur avec un style court et incisif, entre répulsion et fascination jusqu’à l’écoeurement. J’ai lu, mal à l’aise, en apnée, cherchant une cause évidente mais le monstre est engendré sournoisement sous nos yeux par la violence sociale, et on se questionne : quelles souffrances y a t-il derrière les sourires des “bons employés” ? Le Goncourt 2016 trainait en haut d’une pile de livres, à présent il est à la base d’une autre. Je reconnais le talent de Leila Slimani mais je ne le relirai JA-MAIS. A ne surtout pas mettre entre les mains de jeunes parents.

Disponible aux Editions Gallimard et Folio. A noter que Chanson Douce sera adapté par Maiwenn en 2019 avec Leïla Bekhti et Karine Viard.

NOIRE N’EST PAS MON METIER d’Aïssa Maïga - LIVRE : J’ai acheté ce livre d’abord par solidarité mais sans grand intérêt, pourtant je l’ai lu d’une traite et l’ai refermé assez perturbée de m’apercevoir que j’avais intégré tous les codes racistes des productions de cinéma. Pourquoi m’insurgerais-je que les mamans africaines soient toujours célibataires, femmes de ménage et en boubou ? Pourquoi relèverais-je l’accent ‘africain’ forcé d’une noire née à Paris ou au contraire l’accent gommé d’une alsacienne née aux Antilles ? Les parcours de ces seize actrices sont brillants, les anecdotes édifiantes. J’ai ri jaune, et ai essayé de repenser à toutes les fois où, victime de racisme, j’ai refusé d’admettre que je l’étais. Il ne s’agit pas seulement de difficultés de femmes ou d’artistes à titre individuel, il s’agit de mettre fin à des préjugés qui enferment les femmes noires dans un inconscient collectif réduit et malaisant (nounou, femme de ménage, prostituée, sans-papier…) et qui conduisent à la stigmatisation d’individus. Il ne s’agit pas de pitié, de pleurnicheries, d’histoires de femmes, d’histoires de femmes noires : il s’agit d’égalité.

L’OEUVRE de Maryse Condé - LIVRE : Nobel de Littérature oblige et l’hommage que je lui ai rendu sur le blog m’ont décidé à me replonger dans son oeuvre et quelle oeuvre ! Mes titres préférés (pour le moment) restent : Moi, Tituba sorcière… et La Vie sans fards. Mes piles de lecture sont prêtes pour janvier, à moi La Traversée de la Mangrove. A lire et à relire.

Mon hommage à Maryse Condé, à lire ici.

HIVE MIND de The Internet - MUSIQUE : J’attendais avec impatience le quatrième album du quintet californien The Internet. Il faut dire qu’entre la voix (et le ‘flow’) de Syd et moi, c’est une histoire d’amour qui, après l’écoute de chaque album, ne cesse de croître. L’opus 2018 est dynamique, toujours avec ce savant équilibre entre musique digitale et vrais instruments, point névralgique de tous leurs projets. Toujours avec cet équilibre particulier entre nouveau son et influences rétro (funk, disco, jazz...), et entre prise de son sur iPhone et production avec un maximum de grésillements pour intensifier le côté artisanal alors que ça ne l’est pas. C’est funky, groovy comme sur ‘La Di Da’ mais aussi sensuel et voluptueux comme sur mon coup de cœur intersidéral ‘Stay the Night’ resté “en replay” tout l’été. Le talent individuel et l’empreinte de chacun des membres ont tous à loisir de s’exprimer pleinement, et font comprendre pourquoi après avoir tué l’ego (Ego Death - 2015), il faut une conscience collective (Hive mind) pour arriver à cet album, selon moi, le plus abouti. Le groupe étant en parfaite cohésion, ça parait déplacé de faire un focus sur le génial Steve Lacy (tout juste vingt ans ! ), mais sa virtuosité à la basse et à la guitare, sa précocité créditée sur DAMN de Kendrick Lamar, et sa hype en défilant pour Virgil Abloh en font l’ambassadeur parfait de ces cool-kids. “Well, bravo baby…”

En concert le 19 mars 2019 au Bataclan.

ET AUSSI… - MUSIQUE : Ventriloquism de Meshell Ndegeocello. Usawa de Tricia Evy (album pour lequel j’ai écrit une chronique ici). Saturn de NAO. K.T.S.E de Teyana Taylor. Dirty Computer de Janelle Monae. Lost & Found de Jorja Smith. Radio Siwel de Mélissa Laveaux. Village de Jacob Banks

REVOLTE ET TENDRESSE - SPECTACLE : Je n’ai assisté cette année qu’à quatre ou cinq concerts tout au plus. Deux d’entre eux concernaient Gaël Faye. Celui que j’ai décidé de mettre en lumière avait lieu à la Maison de la Poésie où il était accompagné de Mélissa Laveaux afin de rendre hommage à la poésie de René Depestre. Je récapitule, Gaël Faye x Mélissa Laveaux x René Depestre, ai-je vraiment besoin d’argumenter ? Bonus le spectacle est en intégralité sur Youtube !

Révolte et Tendresse de René Depestre, lu par Gaël Faye (CD).


Infinie Leila...

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Sur la voie Condé

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